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L’EDUCATION DE RITA
Pièce de Willy Russell Montée par Christophe Lidon
Avec
Pierre Santini , Adriana Santini

"Je suis coiffeuse, pas chirurgien esthétique. La plupart de mes clientes viennent pour changer. Mais quand on veut changer, il faut le faire de l’intérieur."

L’avant-scène théâtre de Novembre 2007


Un jeu de l’esprit - Entretien avec Christophe Lidon


Le metteur en scène et le comédien cherchaient à travailler ensemble depuis longtemps. Christophe Lidon et Pierre Santini réalisent leur projet avec L’Éducation de Rita, aux côtés d’Adriana Santini


L’avant-scène théâtre : Comment est né ce projet de mise en scène ? Par le texte ou la rencontre avec les comédiens ?

Christophe Lidon : Cela fait quelques années que je « tourne » autour de Pierre Santini, et que je souhaite travailler avec lui. C’est un acteur qui possède une humanité très sincère, et c’est ce qui m’a donné envie de le conduire dans des univers où elle pourrait le mieux ressortir. Nous avons évoqué ensemble plusieurs projets, mais, faute de disponibilité de part et d’autre, ils n’ont pu aboutir. Nous nous retrouvons aujourd’hui grâce à une coïncidence heureuse d’emplois du temps.

AST : Connaissiez-vous la pièce avant d’accepter le projet ?

Ch. L. : J’avais bien sûr vu cette pièce à la Comédie des Champs-Élysées. Elle se jouait alors en même temps que ma mise en scène d’Oscar et la dame rose d’Éric-Emmanuel Schmitt. Ce qui m’a convaincu de remonter ce spectacle aujourd’hui, c’est que l’auteur a lui-même revu sa pièce en 2003. Je trouve cela toujours très troublant quand un auteur remet en cause une pièce à succès pour l’inscrire dans une réalité sociale qui a beaucoup changé. J’ai aussi été séduit par  l’adaptation d’Adriana Santini, qui a l’âge du rôle, et qui peut parler avec les mots du rôle. Enfin, n’oublions surtout pas que Pierre Santini a déjà joué cette pièce, aux côtés de Mathilde Seigner, et c’est assez passionnant d’amener un acteur à  totalement repenser son rôle en fonction de son nouveau partenaire, surtout quand il s’agit de sa propre fille.

AST : Justement, comment appréhendez-vous le fait de mettre en scène un père et sa fille ?

Ch. L. : Leurs liens familiaux ne me paraissent poser aucun problème particulier. Au contraire, cela me touche, et me donne une légitimité de directeur d’acteur, car Pierre, qui est aussi metteur en scène, doit ici se mettre dans une position obligatoire de retrait et d’observation. Cette ambivalence des sentiments qui existe ici me sert en définitive, car j’essaie d’amener le personnage de Rita vers une grande sensibilité, une grande sincérité. La seule chose qui me soit impossible ici, c’est de jouer  sur l’ambiguïté de séduction entre les personnages. Mais cet angle, qui existe dans la pièce, a déjà été exploré. J’ai plutôt choisi d’établir entre Franck et Rita une paternité spirituelle.

AST : L’Éducation de Rita, qui aborde des sujets assez graves et oppose des personnages au passif assez lourd, est elle

à vos yeux une comédie ?

Ch. L. : La comédie de la pièce est inhérente à la situation, et, pour le moment, je ne m’en préoccupe pas. D’ailleurs, la plupart des comédies ne se jouent pas dans la légèreté, mais plutôt dans le tragique. Le personnage de Franck, lui, est complètement désabusé et s’éloigne inéluctablement de son rôle de pédagogue, ne sachant plus se situer entre son parcours d’auteur, de poète et sa carrière universitaire, sa vie personnelle ratée… Cette pièce repose donc sur la fameux principe de l’aveugle et du paralytique : l’un sert de jambes à l’autre, et l’autre de regard. Entre Frank et Rita existe au début une opposition radicale qui finit par devenir complémentaire, comme cela se voit souvent dans le théâtre anglo-saxon.

AST : Que nous dit cette pièce à propos de la culture et de la connaissance ?

Ch. L. : La pièce n’est pas un énième Pygmalion moderne, comme on pourrait le croire en racontant simplement l’histoire. Elle témoigne plutôt de l’envie d’une femme qui veut tout savoir. Rita est intelligente, elle a déjà compris tous les domaines et toutes les distinctions, mais n’a pas elle-même de culture. Ce thème et ces enjeux m’ont particulièrement touchés, car, en tant que directeur de l’action théâtrale de la ville de Champigny, où je fais du théâtre dans les quartiers avec des gens qui ne s’y sentent pas légitimes, je suis sans cesse confronté à ces questions. J’en connais plein, des Rita ! La nouvelle version de L’Éducation de Rita est sans doute plus sociale que la précédente. Elle est proche d’un univers à la Ken Loach.

AST : Comment avez-vous imaginé la transcription scénique du chemin parcouru par Rita ?

Ch. L. : Je me suis servi de cubes, qui représentent des livres, et que les acteurs peuvent déplacer à leur guise tout au long du spectacle. Je voulais que l’espace scénique soit ludique et symbolique : la culture est un jeu de l’esprit, un jeu de construction, où le savoir se transmet par blocs, se construit et se reconstruit selon chacun. Et ce qui m’amuse aussi avec ces cubes tient à leur fragilité : un grand coup de pieds dans ce savoir assemblé, et tout s’effondre. J’ai aussi beaucoup travaillé avec l’éclairagiste pour que la lumière projetée sur le bureau de Frank – qui, à l’intérieur des limites du vieux tapis persan sur lequel il est immuablement posé, symbolise le savoir académique – donne l’impression de faire varier les points de vue avec chaque noir, de sorte que le spectateur soit convié à suivre un parcours mental qui fait varier les points de vue sur la connaissance et la vérité. En évitant de choisir un décor trop réaliste, l’on peut ainsi mieux travailler sur le corps de l’acteur, sur sa présence, sur l’intensité des confrontations. C’est ce travail physique très intense qui me motive à faire du théâtre.

AST : Dans ce que vous dites, l’on a l’impression que la quête de connaissance de Rita est en réalité une véritable quête de soi.

Ch. L : C’est vrai, mais c’est presque un peu réducteur de résumer la pièce à cela. Car elle pose aussi cette question : si je sais tout, si je lis les mêmes livres que vous, puis-je entrer dans votre monde ? Et la réponse est immanquablement non. En d’autres termes, cette situation met à jour le problème d’une culture codée, qui méprise par avance, avec un certain snobisme, ce qui conventionnellement ne fait pas partie de sa grille de valeurs. En tant qu’artiste, on a vraiment envie de faire voler ces snobismes en éclats ! Le mépris est une maladie trop contagieuse. Rita est là pour témoigner de cela : elle ne sait pas choisir un bon vin, comment s’habiller, quel livre lire. Mais qui a dit que quelqu’un savait ?

AST : Mais Rita elle-même, qui bouscule tout, n’évolue-t-elle vers un certain conformisme ?

Ch. L : Oui. Dans mon choix de costumes par exemple, j’ai envie que Rita s’habille à la fin avec un conformisme plus jolie mais tellement moins charmant, tellement moins elle que ce qu’elle porte au début de la pièce ! Frank, lui fait le chemin inverse. Il est le pédagogue d’une université qui décide de lancer un programme d’université pour tous, reçoit cette nouvelle charge comme une punition et à ce titre apparaît comme un pur produit du sectarisme. Mais il se retourne peu à peu contre son propre conformisme.

AST : Dans cette pièce, qu’est ce qu’on gagne, qu’est ce qu’on perd de cette double trajectoire ?

Ch. L. : Au fond, chacun des personnages de L’Éducation de Rita finit par gagner son propre trousseau de clés. Rita a indiscutablement gagné le mode d’emploi d’un autre monde, même si elle paraissait plus forte quand elle forçait les serrures en n’ayant pas les clés. Rita est devenue un poisson dans une cage ou un oiseau dans un bocal : elle est obligée de consentir à de nombreux renoncements (sa famille, son mariage), et l’on sent qu’elle va avoir un mal fou à vivre sa nouvelle vie. Franck, qui doit partir pour l’Australie, pays des condamnés, va devoir réapprendre à utiliser ses nouvelles clés. Cette leçon, qui n’est pas particulièrement optimiste mais qui a le mérite d’être très juste, me semble s’appliquer parfaitement à notre société actuelle.

Propos recueillis par Olivier Celik

La Chronique théâtre de Philippe Tesson

Figaro Magazine décembre 2007


La souris et le matou


Plus anglo-saxon que cet ersatz de Pygmalion, tu meurs.

Tout y est : le rapport d'âge, le rapport maître-élève, le sentiment mezzo voce, l'ascenseur social, le campus universitaire, etc.

La pièce de Willy Russell est solide et bien bâtie, elle joue sur des ressorts qui font mouche, et le public lui a toujours accordé ses faveurs.

Adriana Santini nous en livre une excellente adaptation, vive, vraie, fine, jeune. Elle la joue avec ces mêmes qualités, dirigée par Christophe Lidon, en compagnie de son père, Pierre Santini, qui n'a qu'à laisser filer son talent dans un rôle en or. Un vrai plaisir.

Armelle Heliot – Le Figaro


Un duo délicieux


L'histoire de Rita, jeune fille qui en veut, qui a son franc-parler et qui bouscule beaucoup les habitudes - et un peu le cœur - d'un vieil ours de professeur, est aussi célèbre dans le répertoire que celle d'Élisa et de son Pygmalion...

En France, la pièce de Willy Russell avait été créée par l'acide Anémone et le séduisant Henri Garcin. Puis, avec son tempérament de feu, Mathilde Seigner prit la relève face à Bernard Fresson. La reprise de L'Éducation de Rita réunit pour la première fois sur les planches un comédien de grand talent et une jeune fille encore méconnue qui n'est autre que sa propre fille. Histoire de famille, cette Éducation de Rita, avec Pierre Santini en vieil ours alcoolique et Adriana Santini, qui signe elle-même cette adaptation nouvelle, très fruitée, très vive. Nulle ambiguïté à craindre. C'est Christophe Lidon qui signe la mise en scène. Elle est fluide, sensible. Le décor est tout simple : un mur de livres qui dissimule les bouteilles qui sont le soutien d'un homme pétri de préjugés qui voit d'un œil très noir débarquer la décoiffante apprentie coiffeuse.

Lidon donne une alacrité charmeuse à la pièce. Pierre Santini, fier comme un père, joue avec beaucoup de retenue, de pudeur, le rôle de Frank. Adriana Santini a de la grâce, du peps, quelque chose comme un désarmant naturel qui est exactement celui de Rita... et en même temps, il ne s'agit pas de naïve et facile identification. Mais bien de jeu. C'est en cela que la proposition de Christophe Lidon est très intéressante.

Ici, on joue. On interprète, on compose. On est père et fille, on s'amuse secrètement. Mais Adriana n'est pas la fille à papa de Pierre Santini. C'est une jeune comédienne avec qui il faut désormais compter vraiment.

Bernard Thomas - Le Canard Enchaîné



L'inculte de la personnalité


Il est trop, le tableau de la meuf, là-bas. Un truc pour faire baver les gens : quand le porno n'était pas encore inventé. C'est ainsi que cette étudiante qui déboule tout droit de son salon de coiffure dans le cadre du programme de l'université pour tous voit la Madone accrochée au mur entre les piles de livres. Lui, prof désabusé, alcoolo et bourrelé de mauvaise conscience, le voilà pris au dépourvu par tant de spontanéité et d'inculture saugrenue. Elle, lasse de virevolter comme une mouche au boulot entre des clientes «qui se prennent pour des membres de la famille royale» sans être rien et son retour à la maison avec le mari bouffé par le foot et la télé, elle voudrait comprendre. Comprendre quoi ? Tout. Tout savoir. C'est beaucoup. Ça le stresse. Il soigne ça au whisky. Où a-t-il planqué l'avant-demière bouteille ? Derrière la lettre D comme Dickens ? Ou plutôt F comme Forster, Edward Morgan Forster, qui était un homosexuel engagé. Mais engagé dans quoi ? Qu'est-ce que cela veut dire, engagé ? Putain ! «Y a de quoi être niquée comme une chatte un samedi soir !»


Adriana Santini, qui tient avec allégresse et un primesaut de tous les diables le rôle de Rita devant son bougon de papa Pierre, embarrassé, fondant de tendresse bourrue, débordant d'affection inexprimable, nous a concocté une nouvelle adaptation de la pièce de Willy Russell. Elle a fait vingt fois le tour du monde, cette pièce, et Pierre Santini avait même tenu le rôle chez Michel Fagadau devant Mathilde Seigner à la Comédie des Champs-Elysées il n'y a pas si longtemps. Le jeune âge d'Adriana a donné une version à la fois plus fraîche et plus ancrée dans le réalisme social. Il s'agit, bien sûr, toujours de la bonne vieille histoire de Pygmalion, dont les Anglo-Saxons, depuis Bernard Shaw, se sont fait une spécialité : il y a tellement eu de pièces sur ce thème, avec Osborne, Alan Bennett, l'Américain David Mamet, à peu près chaque fois transformées en films, comme si nos voisins n'en finissaient pas de remesurer le gouffre entre le vaniteux savoir de la misère et une orgueilleuse misère du savoir.

Rita, justement, a compris que les clientes «ne disaient jamais les choses importantes» et que son mari était un con, enfin, «non pas con : un aveugle», un type qui «ne peut pas voir parce qu'il ne veut pas voir». Elle a compris aussi que, quand on veut changer, «il faut le fair de l'intérieur, non ? Vous croyez que j'y arriverai ?». Et c'est Frank qu'elle a choisi pour opérer la métamorphose. Parce que c'est un poivrot complètement cinglé qui veut balancer ses étudiants par la fenêtre, parce qu'elle l'a bien aimé tout de suite, et qu'elle veut lui couper les cheveux pour qu'il n'ait plus cette tête de « pauvre baba cool périmé ».


Le chemin sera bien entendu douloureux, escarpé, difficile, aussi compliqué que la mise en scène de Christophe Lidon est savamment simple. Il n'y a pas si longtemps elle pensait sincèrement que «l'école c'était fait pour les crétins et pour les boutonneux». Tout ce qui comptait pour elle, c'était le reste, «la musique, les fringues, les sorties, les mecs». A sa première dissertation, dont le sujet était : «Proposez des solutions pour résoudre les problèmes de mise en scène pour la pièce d'Ibsen "Peer Gynt"», elle a répondu sèchement : «Faites-la à la radio.». Ce qui n'était pas faux. Mais ça ne lui aurait sûrement pas valu une très bonne note à un examen. A la fin, il faut que le prof de cette adorable Pair Lady commence à craindre qu'elle ne se mue en singesse savante pour qu'un déclic se produise, une catastrophe prometteuse, malicieuse. .. Est-ce qu'elle va couper les cheveux en quatre, Rita ?

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Marie-Céline Nivière - Pariscope


Elle est touchante Rita. En se confrontant à la réalité du quotidien, cette jeune coiffeuse a compris que l'instruction et la culture permettent de maîtriser la vie et non de la subir. Très décidée, elle s'inscrit à un cours du soir à l'université et rencontre Franck, un professeur de littérature, fatigué et porté sur la boisson. Un miroir aux alouettes qui lui donne le sentiment d'être plus brillant. En se confrontant, l'élève et le professeur apprendront le principal : l'estime de soi.

Willy Russell a écrit cette pièce en 1981. Il l'a remis au « son du jour » en 2003. Adriana Santini a adapté cette version avec une belle écoute sur le monde actuel.

La mise en scène de Christophe Lidon est parfaite comme toujours. Il accompagne le texte d'images, de lumières, de symboles, laissant l'imaginaire du spectateur dépasser l'histoire. Sa direction d'acteur pointue permet aux comédiens d'offrir le meilleur d'eux-mêmes.

Ce face à face, fait du choc des cultures et des générations, est magnifié par la relation filiale qui unit dans la vie, Adriana et Pierre Santini. Le père et la fille, dans ce bonheur d'être ensemble sur scène, dans un texte qui leur ressemble, offrent à leur personnage de beaux reliefs fait de tendresse, de révolte, de complicité, et surtout de vie.